épisode 9
o P. 69, §2 : Puis, J-M Besnier cite Pierre Lévy (Qu’est-ce que le virtuel ?) « Mon corps personnel est l’actualisation temporaire d’un énorme hypercorps hybride, social et technobiologique. Le corps contemporain ressemble à une flamme. Il est souvent minuscule, isolé, séparé, presque immobile. Plus tard, il court hors de lui-même, intensifié par les sports ou les drogues, passe par une satellite, lance quelques bras virtuel très haut vers le ciel, le long de réseaux de soins ou de communication. Il se noue alors au corps public et brûle de la même chaleur, brille de la même lumière […] Un jour, il se détache complètement de l’hypercorps et s’éteint.».
L’auteur de l’ouvrage que je lis ici se sert évidemment de cette citation pour repousser ce qui paraît comme une idéalisation de la dématérialisation du corps. Mais pour ma part, cette approche poétique de P. Lévy révèle non seulement une confusion, peut-être volontaire, entre les notions de corps et de Conscience, mais surtout l’attribution, tout humaine, d’une unité et d’une identité à un corps social planétaire qui n’existe, je pense, que dans notre imaginaire.
D’une part, dans les faits, la Conscience ne serait probablement que l’expression auto-perçue de l’activité d’une partie sans doute minoritaire du cerveau et encore plus minoritaire comparée à l’activité d’un corps humain dans son entier. D’autre part, nous ne pouvons rationnellement pas prétendre que notre Conscience individuelle appartiendrait à un quelconque « hypercorps » tant que nous n’avons pas clairement identifiée l’expression d’une hyperConscience qui justifierait la considération de cet hypercorps planétaire. Jusqu’à nouvel ordre, cette idée d’une Conscience globale quasi autonome, qui rejoindrait l’hypothèse Gaïa, me paraît relever du fantasme.
o P. 70, §1 : Je donne donc en partie raison à Jean-Michel Besnier lorsqu’il dit « Il n’est pas sûr qu’en éliminant le hardware […] on sauvera le logiciel». Je ne pense pas même un instant que l’on puisse se débarrasser de tout support matériel. Mais je trouve qu’opposer cette phrase avec la suivante, attribuée aux « éliminativistes » « […] que l’esprit se confond intégralement avec le cerveau, de sorte qu’un ordinateur qui stimulerait le fonctionnement des réseaux neuronaux assurerait les performances cognitives que l’on prête généralement à l’esprit », cette opposition constitue une erreur d’analyse.
En effet, le fait de produire ou de reproduire intégralement un support capable d’engendrer une Conscience ne correspondrait pas du tout à celui de faire disparaître toute forme de hardware, au contraire.
o P. 70, §2 : « Le philosophe Maurice Merleau-Ponty comparait le corps non pas à un objet physique mais à une œuvre d’art. »
L’auteur cherche ici un argument pour condamner la vision mécaniste de l’humain. Deux remarques :
D’abord, il n’y a à mon sens d’œuvre d’art que pour autant qu’il y a un artiste. Je n’ai pas lu Merleau-Ponty, mais résumé ainsi sa pensée semble indiquer qu’il sous entendrait la pré existence d’un créateur à cette œuvre que serait l’humain. Je ne sais si cela correspond bien à l’idée du philosophe. Ensuite, une œuvre d’art ne prend de sens qu’aux yeux d’une Conscience, issue elle-même d’un corps. Autrement dit, je ne vois pas de contradiction entre un corps fonctionnant comme une machine particulièrement complexe (de notre point de vue subjectif) et un « nœud de significations vivantes » (Merleau-Ponty, cité par Besnier). J’irai jusqu’à dire que le corps humain est en train de devenir une œuvre d’art maintenant que nous avons réellement commencé à le modeler selon notre propre désir.
o P. 71, §1 - En échange, je suis parfaitement d’accord avec la citation suivante du même philosophe : « L’homme est une idée historique et non pas une espèce naturelle ».
Mais il faut tirer toutes les conséquences de cette assertion. Si l’homme est une idée historique, le risque n’existe-t-il pas qu’elle vienne à passer ? Quant aux "espèces naturelles", quelle est leur réalité ? Sont-elles fixées pour l’éternité ? Il me semble au contraire qu’elles ne correspondent qu’à un concept que l’humain s’est forgé à travers à travers l’aventure du naturalisme et de la biologie. C’est essentiellement par commodité et par soucis de rationalisation cartésienne que nous avons découpé le vivant en catégories dont nous nous efforçons de maintenir les frontières étanches. Or, il me semble que le réel est plus complexe que cela. Je conçois davantage que l’évolution du vivant soit continue, les seules ruptures étant celles des mutations génétiques et celles des changements induits par les accidents survenant dans l’environnement.
De ce point de vue, il n’y aurait donc pas plus d’espèce naturelle absolue que d’être humain absolu et éternel. Il y aurait en effet une "idée historique", nécessairement amenée à évoluer dans le temps. Je ne conçois pas que nous puissions la débarrasser de tout support corporel, mais pourquoi devrions-nous nous interdire de devenir aussi bien les artisans que les artistes de notre propre corps ?
(A suivre …)