Bonsoir tout le monde,
Tout d'abord mes excuses pour la longueur inhabituelle du post ci-dessous ('pas un roman non plus ;-).
C'est que cela fait plusieurs jours que cette réponse me travaille et j'ai pris la peine d'aller chercher à la source de quoi reprendre notre réflexion. J'ai donc eu le temps de nourrir davantage mon argument. Je compte sur votre intérêt et sur la critique que vous voudrez bien faire de ces quelques idées.
'rci
@ Yamaela
- Citation :
- Je ne peux que répondre sur votre dernière intervention, le reste me dépasse tellement que je n'ai même pas compris le sens exact de certains termes...
Oldcola, qui connaît bien son sujet, utilise peut-être parfois une terminologie un peu difficile, mais pourquoi ne pas lui demander d’expliciter ?
- Citation :
- "En 2004, le législateur[Qui ?] complète la protection de l'Homme, initié par les crimes contre l'humanité, par l'édiction d'un nouveau type d'infraction, dû à la nouvelle nature des atteintes à la dimension humaine permise par le progrès de la science génétique : les crimes contre l'espèce humaine."
Si, l'on se place du point de vue (enfin de ce que j'en ai compris) de Marlière, celui-ci considère que toute modification génétique de l'homme par l'homme est une atteinte à l'ensemble de l'espèce-humaine...
En ce cas, depuis l'ajout de 2004, le trans-humanisme pourrait (j'insiste sur le conditionnel) être considéré comme tel.
Alors, j’ai pris enfin le temps d’aller vérifier le contenu de cette fameuse loi sur les « crimes contre l'espèce humaine » (Voir : http://www.assemblee-nationale.fr/12/ta/ta0215.asp « SOUS-TITRE II » ; « DES CRIMES CONTRE L'ESPÈCE HUMAINE ; « Chapitre Ier » )
« Des crimes d'eugénisme et de clonage reproductif) et surtout, je suis allé lire les comptes rendus des débats parlementaires qui ont précédé son vote.
Il en ressort tout d’abord qu’il ne s’agit pas d’une loi intitulé « LES crimes contre l'espèce humaine », mais « DES crimes contre l'espèce humaine » (au sens générique). Plus précisément, la loi en définit en tout et pour tout 2 : une certaine forme d’
Eugénisme (« tendant à l'organisation de la sélection des personnes ») et surtout le
Clonage reproductif.
La loi en question précise également qu'il n'y aurait crime que dans la mesure où seraient pratiqués des actes ("mise en oeuvre", "procéder à une intervention", "faits matériels") d'eugénisme ou de clonage.
Par ailleurs, en contradiction complète avec l’intitulé, qui renvoie à une communauté (« espèce humaine »), aussi bien le contenu de la loi que les arguments des parlementaires qui l’ont soutenu ne mentionnent que la défense des droits de la personne, autrement dit des individus. En effet, l’espèce humaine n’est nulle part reconnue comme « personne de droit ».
Le ministre, M. Jean-François Mattei et la rapporteure, à l’époque Mme Valérie Pecresse, s’efforcent bien parfois de justifier la qualification de « Crime contre l’Espèce humaine », mais à chaque fois ils sont en peine d’utiliser autre chose que des arguments d’autorité.
Maintenant, je trouve plus qu’intéressant d’entendre (de lire :-) les arguments des défenseurs de cette criminalisation (Voir : http://recherche2.assemblee-nationale.fr/resultats-avancee.jsp) : « Journal Officiel de la République Française du mercredi 10 décembre 2003 - compte rendu intégral ; 2e séance du mardi 9 décembre 2003 : BIOÉTHIQUE » )
Notez qu’à cette époque, l’essentiel de la charge a été menée en direction du clonage reproductif. La rapporteure le rappelle, il s’agissait entre autre de réagir aux propos provoquant d’un médecin italien et de la secte raëlienne qui prétendait avoir donné naissance à un premier enfant par clonage.
Or quelles sont les motivations essentielles de la criminalisation ?
L’argument principal qui revient sans cesse est que ces pratiques (clonage ou eugénisme positif) priveraient les individus à naître d’une part indispensable de leur identité à savoir leur origine en grande partie indéterminée. A cet égard, je trouve caractéristique le passage suivant : «
En clonant une personne, les scientifiques brisent, en effet, l'interdit suprême. Ils enfreignent la première des lois de la nature, selon laquelle l'enfant naît de la rencontre, avec une part de hasard, d'un homme et d'une femme. Ainsi, chaque être humain, mélange aléatoire des gènes, est unique. Le clonage, en reproduisant à l'identique une personne, prédétermine un enfant. Il lui enlève l'essence même de son identité.
C'est pour cela qu'il n'est pas exagéré de qualifier le clonage de crime contre l'espèce humaine. » (Valérie Pécresse).
Cette argumentation me paraît fragile pour différentes raisons :
Passons pour l’instant sur « la première des lois de la nature » sur laquelle je reviendrai.
Passons aussi sur le fait qu’à ce jour, il semble que le clonage humain ne déboucherait pas sur des êtres biologiquement viables à long terme.
- Une première raison pour laquelle la condamnation du clonage reproductif me paraît discutable est que ce procédé ne me paraît pas différer fondamentalement d’autres procédés parfaitement admis et qui limitent eux aussi l’indétermination. Si vous décidez par exemple d’avoir un enfant avec telle personne parce qu’il ou elle appartient au même groupe de population que vous et que vous excluez catégoriquement de vous unir avec un membre d’un autre groupe de population, vous réduisez l’indétermination. On imagine dans un tel cas les motivations – peut-être pas loin du racisme, du couple préoccupé par une telle priorité, mais personne ne songera à l’accuser de crime. Mais nous pouvons prendre d’autres exemple. Soit une personne porteuse de Béta-thalassémie (porteur sain). Elle peut choisir d’avoir un enfant avec un conjoint dont elle aura la certitude qu’il n’est pas porteur de cette particularité génétique afin d’éviter la probabilité que l’enfant à naître risque de développer une thalassémie mortelle. Pratique courante. Les enfants nés de telles unions souffrent-ils de savoir qu’ils sont issus d’un choix parfaitement assumé ? On pourrait multiplier les exemples d’enfants nés en fonction d’un projet plus ou moins précis et réduisant l’aléas génétique. On peut aussi considérer également le cas récent des « bébés du double espoir » (initialement appelés bien malheureusement par certains « bébés médicaments »). Les enfants qui naissent déjà aux Etats-Unis ou ailleurs à partir de sélection d’embryons qui permettent à leurs parents de choisir la couleur de leurs yeux ou quelques autres caractéristiques physiques seront-ils bien plus traumatisés que ceux auquel la pression familiale impose par exemple une carrière ou une éducation militarisée ?
Mais, me direz-vous, le clonage ne concerne pas que quelques caractéristiques génétiques mais la totalité du génome. Le poids du choix fait par les parents en serait évidemment plus important. L’enfant en serait inévitablement marqué.
Franchement, je demeure sceptique. En premier lieu, tant qu’une telle situation n’aura pas eu lieu, nous resterons dans la pure spéculation. Je veux bien qu’un sage principe de précaution nous garde de jouer aux expérimentateurs juste pour vérifier une hypothèse. Il n’est pas question de jouer avec la vie des personnes. Mais d’un strict point de vue logique et scientifique, on ne peut pas tenir une hypothèse pour rédhibitoire tant que cette hypothèse n’est pas vérifiée.
Ensuite, autant que je comprenne, il me semble que l’hypothèse qu’un enfant issu d’un clonage ne pourrait pas aboutir à une personne tout à fait individualisée, autonome et libre occulte deux facteurs au moins tout aussi important que la détermination génétique, et ce sont évidemment le processus épigénétique et l’expérience vécue de l’individu à partir de sa naissance. Sans être du tout spécialiste de la question (Oldcola voudra-t-il bien nous éclairer de sa lanterne ?), j’ai cru comprendre que les scientifiques en étaient aujourd’hui arriver à nous dire que ce qui se passait dés la première division cellulaire de l’embryon, au sein de chaque cellule, et aussi longtemps qu’il y a division cellulaire chez un être vivant, était au moins aussi important dans la « détermination » de l’être que le patrimoine génétique hérité au départ. Autrement dit, dés le départ on pourrait affirmer que le clone ne sera jamais identique à l’individu chez qui on a prélevé le génome cloné. Et cela, sans même parler de tout le poids de son éducation et de sa vie sociale future.
Or, je pense que rien n’empêche d’imaginer qu’au contraire d’élever le clone dans l’idée et le souvenir permanent de son « jumeau ascendant », on puisse l’aider à bâtir son identité en banalisant cette origine. La question de leurs origines pose question à bon nombre de personnes qui, d’une façon ou d’une autre, ne se sentent peut-être pas exactement « normaux » : enfants issus d’un don de sperme ou d’ovocyte, mais aussi enfants de parents inconnus ou éloignés, enfants adoptés … Toute ces situations particulières entraînent sans doute la construction d’identités particulières. Sont-elles pour autant toutes inexorablement dramatiques ?
- Je voudrais également m’élever contre l’argument qui consiste à dire que ces enfants seraient déterminés. En effet, je pense que c’est une vue de l’esprit de croire que nous allons maîtriser l’absolue totalité du processus d’assemblage matériel et de l’ensemble de l’évolution de ce matériel depuis la conception jusqu’au développement de la personne. Tout au plus, nous allons encore progresser dans la compréhension et la maîtrise de ces processus. Notre savoir atteindra d’autres échelles. Pour autant, je pense qu’il demeurera toujours une part d’inconnu, donc d’indéterminé.
- Enfin, concernant spécifiquement le clonage reproductif (et non pas le clonage thérapeutique), un dernier argument qui me fait trouver tout à fait excessive cette décision de la représentation nationale, c’est qu’il me semble que c’est une technique inintéressante ! Indépendamment des difficultés techniques, je ne vois pas l’intérêt de vouloir donner naissance à un être qui de toute façon ne serait que génétiquement semblable à un autre, sauf pour des préoccupations stupides. S’agirait-il de retrouver le visage et le physique d’un être cher et disparu ? Ce serait un illusion. On l’a dit, le nouveau venu ne serait pas l’ancien. Faudrait-il imaginer un scénario de type dystopie totalitariste ? Je veux bien en théorie, mais dans la pratique, cela me paraît relever du pur fantasme. Concrètement, si demain le clonage reproductif était permis ou toléré, qui imagine qu’il serait utilisé dans ce but ? Ainsi, il me semble que les candidats à l’utilisation d’une technique qui resterait très peu répandue – donc très chère, ne seraient pas légion.
- Pour finir, je reviens sur ce passage que je trouve très éclairant sur les valeurs sous jacentes du discours ministériel ou parlementaire : <<
Ils enfreignent la première des lois de la nature, selon laquelle l'enfant naît de la rencontre, avec une part de hasard, d'un homme et d'une femme. >>
Et encore, je passe sur « la rencontre d’un homme et d’une femme » qui me semble relever du plus simple conservatisme. Ce même argument a servi pendant des siècles à faire condamner les homosexuels par exemple (on en a pendu, brûlé …).
Mais je passe parce que le fond de l’argument me semble se situer là : « enfreindre les lois de la nature » ! Voilà, nous y sommes. Le clonage (à y être, le clonage tout court sans doute, y compris thérapeutique), l’eugénisme (même positif et démocratique) sont abominables parce qu’ils sont acte d’hybris, un sacrilège qui porte atteinte à l’intouchable « nature » et à ses « lois ». Comme l’avoue ailleurs benoîtement le même débat (« notre droit pénal, issu de la tradition judéo-chrétienne du « tu ne tueras point »), les valeurs judéo-chrétiennes sont bien toujours présentes au Palais Bourbon, car qu’est-ce qui se cache derrière cette Nature transcendante qui nous édicte ses lois, si ce n’est une figure de dieu ?
Seraient-ce ces même valeurs qui animeraient, au fond, la pensée d’un Philippe Marlière ?
A+
Ps : l'idée de l'inviter en juin est, je crois, finalement passée à la trappe. Ce sera pour une autre fois ;-)
Ps2 : La notion de Transhumanisme, en un seul mot, ne serait-elle pas un peu trop récente en France pour être déjà passée dans le dictionnaire ?