Je suis donc rentré du colloque organisé à Bruxelles le 24 février 09 par l'Institut Rathenau, mandaté par l'UE, sur le thème du "human enhancement" (
je ne trouve pas encore d'expression française arrêtée et satisfaisant pour traduire ces termes. "humain augmenté" renvoi au résultat et non au processus. "amélioration humaine" laisse peser le doute sur la dimension morale du "meilleur". Je dirai peut-être "développement humain", qui reste aussi vague et "politiquement correct" que cette expression adoptée par les anglo-saxons.)
A part mes premiers pas à Bruxelles et dans les bâtiments des institutions européennes, que retiens-je de ce bref séjour ?
J'y ai vérifié ce que les documents de travail reçus m'avaient appris, à savoir que les problématiques portées par le Transhumanisme sont arrivées depuis peu aux oreilles des responsables placés au sommet de la hiérarchie politique. Ceux d'entre eux qui ont été saisis de ces questions semblent les considérer avec le plus grand sérieux (encore heureux).
Le mot "Transhumanisme", en interne, ne pose aucun problème dans la bouche, et dans les écrits de tous les intervenants que j'ai pu entendre.
Sur une cinquantaine de personnes participantes, depuis les députés du parlement européens jusqu'aux simples citoyens, en passant par les philosophes, sociologues, écrivains, universitaires de tous poils, membres de comités d'éthiques ou représentants d'associations transhumanistes européennes, tous étaient unanimes pour rejeter d'amblée les deux positions extrêmes que représentent d'une part l'idée d'un laisser aller sans contrôle sur le développement des technologies NBIC et d'autre part celle d'une prohibition pure et simple de ces mêmes technologies.
Je constate également que la très large majorité des intervenants se prononcent pour une régulation du "développement humain" qui soit inspirées par les valeurs et les traditions européennes, notamment le respect de la dignité de la personne, des libertés individuelles, mais aussi les valeurs de solidarités qui sont plus propres au modèle de l'UE.
Bien que le document de travail comporta quelques rares allusions à l'idée d'une société européenne de la connaissance et de la recherche qui soit "compétitive", en référence évidente à de nombreux articles du Traité de Lisbonne, les termes clés du langage de la commission européenne, ceux du néolibéralisme triomphant, ont été étrangement absents. Au contraire, de nombreux intervenants ont souligné les dangers liés à la marchandisation des techniques NBIC. A croire que le néolibéralisme ne serait plus en vogue (je pense à Lampedusa : "Tout changer, pour que rien ne change" …).
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Une des questions centrale était de savoir en fonction de quoi serait-il possible de déterminer des critères permettant d'accepter ou de refuser, de légaliser ou d'interdire telle ou telle technologie de "développement humain" dans nos sociétés.
Trois orientations étaient envisagées :
- La première proposait une approche "raisonnablement favorable" des nouvelles technologies. Elle réfutait les arguments qui prétendent pouvoir se servir du point de vue thérapeutique pour déterminer si une technique est acceptable ou non (seraient acceptables seulement les pratiques permettant de soigner, ou de pallier à un handicap …). Elle favoriserait la R&D sur les technologies de "développement humain" tout en respectant les principes éthiques de l'UE. […](
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- La deuxième envisage une approche "raisonnablement restrictive" de ces techniques. Elle met en avant le principe de précaution, la défense des libertés et de la dignité humaine. […](
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- La troisième approche est celle du cas par cas. […](
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De la discussion ouverte de l'après-midi, je retiens que le sujet est considéré par nos interlocuteurs (les politiques) comme très ouvert.
Ils se disent à la recherche d'une "trame" (a framework), une plate-forme à partir de laquelle commencer à organiser les débats et leur propre réflexion.
Il disent souhaiter mettre en place des outils de consultations capables de faire réellement le lien avec la société publique. […](
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Pour conclure, il ressort assez clairement de ces échanges que l'action politique ne peut être que balbutiante face à des interrogations nouvelles, elles mêmes provoquées par des avancées technologiques sans cesse plus nombreuses et peut-être plus rapides.
Cela confirme pour moi que la réflexion aura intérêt à venir des milieux les plus divers. Compte tenu des enjeux de fond – qu'allons-nous bien pouvoir faire de l'espèce humaine ?, il me paraît essentiel que les parties prenantes au débat représentent le plus large spectre de la société et non pas seulement la communauté scientifique, les milieux économiques ou le pouvoir politique.
J'ai eu le plaisir d'entendre répondre, à la remarque d'un universitaire avançant que les questions des technologies NBIC exigeaient un niveau d'expertise difficilement transmissible à tous, que, au contraire, ces questions exigeaient à la fois l' information du plus large public et la plus large consultation.
Cela dit, entre les bonnes intentions de quelques élus motivés par le sujet et la pratique réelle du pouvoir, il se pourrait qu'il y ait comme un écart …
Il resterait donc à se demander comment lutter pour, une fois de plus, assurer des choix les plus démocratiques possibles.
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1)NB : pour une version intégrale de ce conmpte rendu, avec renvois au document de travail du colloque, voir le Blog :
http://technoprog-fr.blogspot.com/