Article intéressant, à la différence de tout ceux qui rabachent sans cesse les sempiternelles questions du dopage et de ses valeurs morales, d'autant plus que je suis amateur de cyclisme (en pratique). Intéressant en fait à cause de l'opinion marquée de l'auteur dans les deux dernières parties de cet éditorial, malgré le style un peu trop pompeux à mon goût de la première qui s'inscrit dans la même trame que lesdits articles que je viens d'évoquer.
J'ai ainsi relevé dans ce texte ce sentiment de "nostalgie" chez les spectateurs, qui est en partie, en ce qui les concerne, à l'origine de ce frein à l'encontre du dopage, sentiment à rapprocher de ceux de "trahison", "déshonneur" ou "déception terrible" que font figurer d'autres articles (voire en particulier "Courrier International", ci dessous), traduisant selon moi l'attente paradoxale de ces spectateurs, attente déchirée entre d'une part un ennui profond qu'a pu susciter le Tour de France que décrit l'article du docteur Nau, c'est à dire un manque vis-à-vis du désir de spectacle, d'emportement par l'excitation, et d'autre part un besoin d'authenticité du corps, peur de l'artifice humain (une "valée dérangeante transhumaniste" ?)
De plus, la comparaison que fait docteur Nau avec les sports automobiles ne passe pas inaperçue, puisque c'est un domaine d'innovation industrielle notable, dont les technologies servent quelques décennies plus tard dans les automobiles civiles, "l'intérêt de tous" étant bien évidemment présent dans cet article. Je me permettrait même le rapprochement avec une citation empruntée au chirurgien Joe Rosen : "Qui ici ne s'entoure pas d'une carapace de métal pour foncer sur la route à des vitesses défiant la mort ?", lorsqu'un de ses collègues lui demanda si il accepterait de greffer des ailes à un patient si il le lui demandait, évoquant l'augmentation de l'être humain.
Mais cette comparaison avec la Formule1 n'est pas sans souligner, je le pense, l'effrayante réalité qu'est l'image du corps pour l'homme : car Jean-Yves Nau n'évoques pas, par exemple, la prouesse technique que constitue le Pinarello (modèle Dorgma), le vélo de l'équipe Sky dont fait partie Bradley Wiggins (et pas Higgins), ayant permis de dépasser à plusieurs reprises la puissance de 450 watts, le seuil du dopage étant à 410. N'importe qui ayant essayé un vélo à cadre en carbone en comparaison voit déjà de quoi je parle. (Consultez à ce sujet le supplément du journal LeMonde du week-end dernier : 21-22 juillet 2012).
Point central de la question d'éthique, l'auteur emploie trop brusquement le terme de "justice sportive", même s'il prète le terme aux "gentils". Tout pousse à croire qu'il fait référence à l'Agence Mondiale Antidopage (crée en 1999), et par suite toute les institutions adhérentes à ses principes, dont un des trois fondement visant à l'acceptation ou non des techniques d'améliorations sportives est le suivant : il est nécessaire qu' "elles ne transgressent pas l'esprit du sport" (les deux autres étant leur utilité et la santé du sportif). À mon sens, mais dites-moi si j'ai tort, toute la question revient donc à savoir ce que les gens considèrent par "esprit du sport", "justice sportive", "sport pur", ou encore "sacro-saint esprit sportif" (comme on peut le voire apparaître couramment dans les dits et écrits). À part insinuer que ce concept n'est qu'illusion de la part de leur défenseur, ce qui traduit quand même l'existence d'un sentiment à cet égard de la part de ces derniers, et ce qui est vraisemblablement le cas, puisque toute la question éthique du sport y prend son appui, l'article semble rester allusif sur ce point.
Par contre, le docteur Nau définit le terme "bionique" et ajoute "le coureur, [...] prèt à livrer son corps pour la science et au plus offrant". Je ne suis pas d'accord avec cette phrase en raison de la cohérence qu'elle tient avec le reste du texte. Je m'explique : des tests sur volontaires humains, il y en a, et celà ne date pas d'hier, et celà n'a jamais déplacé des foules, dans la mesure où il n'y rien de spectaculaire qui puisse assouvir les désirs d'exaltation visuelle des spectateurs. Ces gens là, donnent leur corps pour la science. Par contre la science donne ses moyens aux sportifs, dans une logique post-bionique. Si on considère le sport comme tel, ou alors je me trompe sur ce qu'est le sport, quand bien même on sait que les sportifs de hauts niveaux s'entrainent déjà en laboratoire, il ne peut en aucun cas se réduire à une étude en amont, mais constitue de fait son aboutissement, au même titre que le pilotage automobile est un sport, pour filer la métaphore, pas l'ingénierie, et Oscar Pistorius n'est pas un volontaire. Je comprends que Jean-Yves Nau soit convaincu que le cyclisme prendra des penchant bioniques, mais à ses dits précédents, on ne peut l'en dissocier du spectacle qu'il offre aux "foules" (et adeptes de "saucissons" !) Il en sera donc le fruit, et éventuellement on peut donc penser qu'il tiendra aussi un rôle de publicité qui présentera au gens quelques attraits de ce à quoi ils auront accès, une sorte d'idéal physiologique.
Comme les Jeux Olympiques se sont ouverts hier, j'immagine que les sujets transhumanistes liés au sport vont attiser d'autant plus d'intérêt. À ce titre, je vous invite à lire les cinqs pages pertinentes y traitant dans le journal "Courrier International", l'article étant "L'athlète éprouvette", ce qui rejoint et discute sous différents aspects et points de vues, pour les disciplines sportives plus généralement, les questions suscitées par Jean-Yves Nau dans le cadre du Tour de France.
Pour les adeptes d'Amplicog, il y a même une page consacrée au rôle du cerveau notamment, et les recherches sur les sportifs qui ont été et sont menées (extrait de Science News)
@ Zeus Ex Machina :
Il ne me semble pas qu'Alexandre Vialatte ait été cycliste, je me trompe ?
EDIT (05 août 2012) : Je viens de jeter un coup d'oeil au règlement de l'Union Cycliste Internationale (UCI), et je tiens à faire part d'un passage qui ne relève pas du dopage stricto sensu, mais qui s'articule avec mon troisième paragraphe, et particulièrement aux réflexions de cette partie du forum : dans le préambule du de la section 2, du chapitre 3 ,du titre 1 (concernant les règles liées à l'équipement), est affirmé :
"Les bicyclettes doivent répondre aux esprit et projet du sport cycliste. L'esprit suggère que les courreurs cyclistes s'affrontent en compétition sur un pied d'égalité".
Et il ajoute sa touche de honte prométhéenne, petit lait de la réflexion transhumaniste :
"Le projet affirme la primauté de l'homme sur la machine".