J’ai réussi à assister en ligne à cette conférence de jeudi soir (28 oct. 2010).
Voici les notes que j’ai saisi à la volée :(Désolé, bien souvent, je ne savais pas qui parlait :-(
Ah, et j’étais en retard d’un bon quart d’heure, donc j’ai raté le début, évidemment.)
- CNRS - Les grands débats
Biologie synthétique : a-t-on le droit de fabriquer le vivant ?
Les Invités :Bernadette Bensaude-Vincent
- Professeur à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne
- Membre de l’Institut universitaire de France
- Membre du Comité d’éthique du CNRS
Frédéric Dardel- Professeur de biologie moléculaire à l’université Paris Descartes Paris V
- Directeur du laboratoire de cristallographie et RMN biologiques (Université Paris Descartes Paris V/CNRS)
- Ancien directeur du département « Sciences du vivant » du CNRS
Philippe Marlière- Généticien
- Cofondateur de la start-up Global Bioenergies
Didier Sicard- Professeur en médecine à l’université Paris Descartes Paris V
- Président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour les sciences de la vie et de la santé
Animateur :Mathieu VidardAnimateur/producteur de "La tête au carré" sur France Inter
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[…]
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Un scientifique : … faire fabriquer des antibiotiques en grand nombre par des bactéries synthétiques, mais c’est ce que font les bactéries naturelles au quotidien.
Par exemple, nous maîtrisons un procédé pour fabriquer de l’isobutane, qui est une molécule petite et simple, mais très difficile à fabriquer. Elle est utile entre autre pour fabriquer des tapis ou toute sorte de textiles …
La Biologie Synthétique peut permettre de fabriquer des briques de bases (intrants) qui ne soient plus dérivés du pétrole, comme c’est le cas de presque tous les intrants en ce moment.
Mais actuellement, les industriels ne croient pas aux bio briques.
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Question du public : Est-ce que dans les pratiques de la SynBio, il n’y a pas violation de la Nature ?
- Réponse de
Bernadette Bensaude-Vincent : Descartes lui-même disait déjà : « tout ce qui est artificiel est naturel ! ». En effet, il faut bien connaître la Nature pour faire de l’artifice ; la laine est dite naturelle, mais elle est tout sauf naturelle, elle subit une kyrielle de traitement chimique. Tout est transformé par l’art humain. C’est une question de point de vue. La distinction (naturel/artificiel) n’est pas à mettre à la poubelle pour autant. Certes, on peut faire de la biodiversité artificielle. Mais la Nature est considérée comme une norme, et même si la Nature peut être très toxique, elle est investit d’une « valeur ». Il y a des mythes qui valorisent ce qui est naturel, et on ne peut pas les renverser d’un revers de main.
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Philippe Marlière : enfermer le vivant dans des limites est une erreur. Le vivant est sans arrêt recréé. Des êtres humains nouveaux existent. Par exemple des hommes nés stériles. Nous avons maintenant des humains porteurs d’une stérilité transmissible ! L’important est ce que nous fassions de la science. L’idée est porteuse d’une tradition. La technologie avancera toujours, même si nous sommes inquiets de la réduction de l’humain à une vision trop mécaniste. Ces questions ne peuvent pas être résolues dans la science. Une de ces questions est : « Comment notre humanité pourra continuer à se regarder en face ? »
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un scientifique (?) :
Selon Changeux, l’éthique est dans les neurones.
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Question de l’Animateur :
Est-ce que vous vous posez des questions éthiques ?
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un scientifique (?) :
La question c’est où est le périmètre sacré ?
Dans les OGM, c’est brouillé.
Rousseau : s’il n’y avait que du rationnel dans l’humain, il aurait disparu depuis lontemps.
Qu’est-ce qui est profane ?
Il y a énormément de transgression aujourd’hui.
C’est du délire que la République Française accepte les « secos » (?) qui est un mode de reproduction humaine semblable à ce qu’on pratique dans l’élevage.
Il faut savoir ce qui est sacré et ce qui ne l’est pas.
Il faudrait qu’il existe [en bioéthique] un institut comme la CNIL pour surveiller.
Exemple de ce qui doit être sacré : Les hommes sont libres et égaux en droit.
Ce qui est humain et ce qui n’est pas humain = la différence doit être sacrée.
De ce point de vue, le Vatican est cohérent.
Les faucheurs d’OGM ne sont pas cohérents.
- Question de
Hervé Guérin, de France Télévision :
A propos du rapport homme/Nature/Technologies
Ex : j’ai un problème de vue -> à l’origine on a proposé des lunettes, puis on a inventé la lentille, bientôt on aura la rétine artificielle -> n’est-ce qu’un progrès technique ? N’y a-t-il pas un moment où la question change de nature ?
Par ailleurs, dans la relation gène/cellule, il fait remarquer que le gène tout seul n’est pas vivant.
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Frédéric Dardel :
Les gènes interagissent. On ne sait pas pourquoi on a 2 bras, 2 jambes et dans quel gène cela se trouve. C’est très compliqué.
Mais la SynBio est en train de changer la chimie. On change de système
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l'Animateur : au sujet de la dernière création de Craig Venter
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un scientifique :
Il y a reconstitution d’un génome entier, soit d’une molécule très longue. C’est une prouesse technique. Mais ce n’est qu’une transplantation de génome synthétique.
Venter n’a pas synthétisé toute une cellule, mais l’a simplement reprogrammé.
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Question d’un étudiant :
Qu’est-ce que Venter a breveté ?
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Réponse : Ses procédés d’assemblage.
Pour que quelque chose soit brevetable, Il faut que ce soit nouveau, original …
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Un autre scientifique :
On a pas créé une cellule, on a changé le moteur, comme pour le clonage.
Je pense qu’on arrivera jamais a créé un ovocyte.
Le jour où on créera une vrai cellule, avec toute sa complexité … l’ovocyte est beaucoup plus complexe que le spermatozoïde.
Venter fait un abus de langage. Il n’y a pas eu de création de cellule.
Néanmoins ce qu’il a fait reste une prouesse scientifique.
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Un autre scientifique (Marlière ?) :
Même le mystère du cytoplasme sera un jour percé.
On en fabriquera de toute pièce un jour.
Pour l’instant, le "Mystère" du cytoplasme me paraît être un des derniers refuge du vitalisme.
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Intervention de la salle :
Fabriquer le vivant, c’est fabriquer le primate, l’Extra Terrestre ou le robot.
Sartre disait, l’homme n’est que l’optique de dieu.
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Un scientifique :
Je suis l’ennemi du Transhumanisme ; ça c’est du gibier pour le prochain Nuremberg.
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l’Animateur : Pourquoi veut-on créer de la Biologie Synthétique ?
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Bernadette Bensaude-Vincent :
On suppose que la Biodiversité est un bien ; qu’on la diminué et qu’on doit la restituer
Ceci est poser une valeur, une éthique, établir une hiérarchie de valeurs.
Or, plusieurs valeurs s’affrontent
- La Vie c’est sacré ; Biocentrisme => pas de SynBio.
- Anthropocentrisme (Ph. Marrière). Nous sommes capable de faire mieux que la nature, donc nous devons faire mieux.
(commentaire de Marlière -> oui c’était déjà le projet de l’alchimie et maintenant de la chimie)
- Écocentrisme -> on doit prendre comme point de vue l’ensemble Nous+la Nature. De quel droit va-t-on bouleverser les équilibres naturels ? Le fonctionnement du cytoplasme, on y arrivera peut-être, mais la compréhension des équilibres écologiques, c’est beaucoup plus complexe ; on est en train de gérer de l’incertitude ; on est pas sûr à 100% que ces xéno-adn n’interfèrent pas avec le milieu.
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l’Animateur : Philippe Marlière , la quête, c’est quoi ?
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Philippe Marlière : Qu’est-ce que ça veut dire ? : persister dans un écosystème.
Élaborer un organisme capable de s’adapter dans un écosystème, ce serait une découverte fantastique.
Mais la SynBio signifie aussi qu’il faudra s’assurer que des nutriments qui ne sont pas à l’origine dans la nature, on maîtrise leur diffusion dans la nature.
Le but est d’arriver à des ordres de probabilité sûrs. Nous faisons confiance au progrès technique depuis toujours. Il n’y a aucune raison de supposer qu’on arrivera pas à maîtriser la SynBio.
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Question du public : Exxon et BP peuvent-ils attendre des gains avec Venter (agrocarburants SynBIo) ?
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Réponse d’un scientifique : Il est dur de répondre. On ne sait pas. Améliorer la production d’éthanol par reprogrammation SynBio est jouable. Mais Économiquement ?
- Remarque d’
un autre scientifique sur la concurrence entre agrocarburants et alimentation, par exemple au Brésil.
- Ph. Marlière, Ce n’est pas vrai, le Brésil est le grenier du monde. Il a la possibilité de nourrir sa population.
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Remarque du public : le + grand problème ce sont les dérives des SynBio.
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l’Animateur : question sur les risques.
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Didier Sicard : le problème, c’est que les risques sont inconnus.
Avoir l’impression que la technique maîtrisera les risques, alors qu’on a pas idée des risques me paraît étrange. Je ne suis pas dans un monde débarrassé de tout risque, ni dans la crainte perpétuelle d’ailleurs. Et on ne va pas faire la liste des risques.
Sur les OGM, on exagère.
La monopolisation par une entreprise crée un risque.
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Bernadette Bensaude-Vincent :
Dans le cas de la SynBio, on a établi une typologie des risques :
- la Bio erreur : dans un labo, on laisse s’échapper un organisme synthétique.
(le virus de la polio par exemple a été synthétisé).
Le contrôle radical est très difficile.
Mais si on fabrique des organismes qui ne sont pas naturels, il ne survivront pas dans le milieu naturel car ils ne trouveront pas leurs nutriments.
- Bio terreur : des gens mal intentionnés s’emparent de ces organismes et les utilisent comme arme biologique à des fins nocives. D’autant que la biologie devient facile, et qu’on peut en faire soit même dans sa cuisine.
- Biohackers : des Biopirates qui, pour jouer, fabriqueraient des séquences nocives.
En face, il y a une volonté d’encadrer, pour faire une innovation responsable.
- Autre risque : que les communautés scientifiques décident elles-mêmes ce qui est risqué et ce qui ne l’est pas, sans consulter les citoyens.
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Question posée par Courriel : Comment est-ce qu’on peut s’assurer de la non dissémination ?
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Philippe Marrière :
à la question posée : Il y aura toujours une part irréductible de risque qu’il faut accepter.
Quant à l’information du public, elle est assez bonne concernant la SynBio. Bien sûr, il y a beaucoup de théorie, mais pas de pratique en France. En France, tout se fait à Évry.
Je ne crois pas à l’intelligence collective.
Les Jurés populaires ne servent à rien. Il faut rentrer dans le vif du sujet.
Les idées scientifiques révolutionnaires vont contre le bon sens commun !
On ne peut pas prédire le futur scientifique.
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l’Animateur : On a balayé le Transhumanisme, mais l’homme augmenté menace ?
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Frédéric Dardel : Pour le moment, on en est loin. C’est très compliqué.
Pour l’instant on arrive pas à grand chose. On balbutie dans la thérapie génique par exemple.
Le reste, est-ce qu’on pourra le faire ? Pas à court terme.
La compréhension d’un système comme l’homme, on en est loi.
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Question du public à Ph. Marlière : vous croyez que l’idée de progrès n’a pas changé depuis Auschwitz et Hiroshima ? ; avant de mettre en cause Vivagora.
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Philippe Marrière :
Oui, il y a une demande contradictoire de la part du public, ils veulent des produits toujours renouvelés, mais ils veulent du progrès technique, il y a une demande (Inde, Chine). Mais en même temps, il y a une demande d’authenticité, d’abolition de la technique. En dépit des moratoires … je crois qu’on aime bien se flageller, souffrir pour mériter … on est hypocrite. En fait, peu sont prêts à renoncer au progrès.
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Bernadette Bensaude-Vincent :
Vivagora ne cherche pas à semer la peur ou l’anti-technique. On ne peut pas faire de maîtrise sans idéal. Mais l’idéologie de l’hybris n’est pas l’idéal. L’avenir de l’humain sur cette terre peut être mis en danger. Donc, nous avons besoin d’une technologie de l’humilité. On ne maîtrise pas toute les données du problèmes. Le Fétichisme du progrès est dépassé.
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Didier Sicard : il ne faut pas exclure l’importance du débat citoyen.
Le risque n’est pas rentable à court terme. Les investissement sur le risque sont dérisoires (2%). Si les scientifiques et les industriels faisaient un gros effort, le public suivrait.
Une éthique effecteur, ce serait une catastrophe.
Le débat public a perdu ses objectifs.
La science est l’honneur de l’humanité, mais …
L’orgueil qui confisque la réflexion est à l’opposé d’une humanité.
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l’Animateur : la décision ne doit pas être fait de façon …
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Frédéric Dardel : le dialogue scientifiques/citoyens rencontre des difficultés, même si le scientifique est honnête. Car lorsqu’on lui demande : « Y a-t-il un risque ? » et qu’il répond – « je ne sais pas. », le citoyen entend : « le risque existe ! ». Il y a donc une incompréhension.
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un autre scientifique :
Pour les pires exaction nazis, il a fallu tordre le droit pour permettre ces exactions.
La déontologie n’a pas empêché … de tuer des enfants qui avait des handicaps.
Mais plus on est à un degrés élevé, des lois internationales, plus on peut être protégé.
Le politique en France a capitulé du point de vue du droit.
Mais les lois internationales peuvent prendre la relève.
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l’Animateur : Dernier tour de table :
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Bernadette Bensaude-Vincent :
Il ne faut pas interdire la SynBio, mais c’est une utopie, comme les Nanos. Je n’y crois pas. C’est une mode. On pense qu’on va toujours pouvoir consommer toujours autant. Je n’y crois pas. Ca enrichit beaucoup les connaissances en biologie et en chimie, mas ça ne les remplace pas.
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Philippe Marlière : C’est la vitesse de libération qui a été atteinte avec l’échelle de la construction chimique. [Il utilise une métaphore de la conquête spatiale] Maintenant, qu’est-ce qu’on va explorer comme planètes …
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Frédéric Dardel : La SynBio constitue une accélération importante. C’est une extension de ce qui existait avant. Il n’y a pas d’obstacle [technique] à la progression.
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Didier Sicard : Quant au droit de fabriquer le vivant, il n’y a pas de limite technologique. Mais demander à la science le sens de l’existence est une utopie. La médecine ne peut dire qu’elle est la fonction d’exister.
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Prochaine soirée des grands débats du CNRS, le 17/02/2011.
Revoir ce débat en streaming à partir du mardi 2 novembre.